Serge BISSON, sculpteur

par Agnès PRUVOT

Charleville-Mézières

Serge Bisson a réalisé les décors sculptés du buffet d’orgues de Vertus : pour ajouter le plaisir des yeux à celui de la musique, il exerce avec passion une profession méconnue qui allie technique et tradition.

Serge Bisson vient de passer plusieurs mois à sculpter les éléments décoratifs du buffet de l’orgue de Vertus réalisé par Bernard Aubertin. En effet depuis que l’on fabrique des orgues, il est d’usage que le buffet soit décoré :

« A des formes de buffets souvent semblables, le décor sculpté apporte une plus-value esthétique, et souvent un clin d’œil à la culture et aux traditions locales ».

Le facteur laisse en quelque sorte sa « signature », son style, par goût personnel mais aussi par souci de rentabilité : les mêmes maquettes, les mêmes formes doivent pouvoir être réutilisées. Au sculpteur donc de respecter le « style » du facteur tout en réalisant à chaque fois un travail différent.

A Vertus, le blason de la ville avec sa devise « Vivit Post Funera Virtus » qui remonte au temps du roi Jean le Bon orne le sommet du Positif. En plus des traditionnelles feuilles d’acanthe, le thème choisi par le facteur pour les sculptures a été naturellement celui de la vigne : feuilles, grappes, ceps, toute la nature environnante se retrouve sculptée sur le buffet. « Je ne suis pas artiste, mais artisan. Le travail du sculpteur est ici un véritable travail de « sous-traitance » ; les cartons ont été esquissés par Mr Aubertin, les pièces de bois sont prédécoupées en atelier, il me reste à les travailler et à leur donner vie pour créer un ensemble cohérent en respectant le désir du facteur ».

Malgré toutes ces contraintes, il est étonnant de voir Serge Bisson travailler dans son atelier au milieu de bouquets de vigne, de ceps en vrac, de branches et de feuilles : un travail presque d’après nature !

Pour les sculptures comme pour le reste du buffet, un seul bois : le chêne. Celui-ci est travaillé et raboté exclusivement à la main, ce qui laisse sa surface très lisse, brillante et dure. Elle reste brute, sans apport de cire ou de vernis pour ne pas accrocher la poussière ; le bois conserve alors avec le temps toute sa résonance et garde intacte la sonorité de l’instrument.

La tradition du compagnonnage

Pour sculpter tous ces petits morceaux qui seront ensuite assemblés sur le corps du buffet, Serge Bisson travaille seul avec toujours en mémoire l’idée d’ensemble du travail terminé. Plus qu’une façon de travailler, c’est une sorte de philosophie : il perpétue la tradition des compagnons bâtisseurs.

« Le sculpteur d’ornement est un artisan solitaire et humble ». Il ne signe pas son travail mais il met son talent au service d’une réalisation collective, il laisse l’empreinte de sa personnalité en respectant l’unicité de l’œuvre achevée.

Comme les ouvriers du Moyen-Age respectaient la forme et le grain de matériau, le sculpteur d’aujourd’hui doit tirer le meilleur parti possible des pièces de bois qui lui sont confiées.

Faire vivre la matière : si la figure sculptée pour un culot doit laisser deviner la forme originelle du bloc de bois, le volume du buffet impose, lui, l’orientation définitive du motif sculpté.

Donner une impression d’ensemble : fait pour être vu de loin, ce travail très soigné doit nous laisser une sensation esthétique globale. Pour cette raison, les motifs situés au sommet sont traités différemment des éléments à hauteur humaine.

Créer des contrastes : technique particulière qui écarte le souci du « petit détail » pour privilégier les différences de relief, la succession des pleins et des ajourés, l’importance des volumes, la brisure des angles. Ainsi le sculpteur habille l’instrument en jouant avec la lumière, en provoquant l’alternance d’ombre et de clarté.

L’organiste viendra ensuite donner vie à cet ensemble en créant la musique : alternance de souffle et de repos, superposition de sonorités et de silences.

Ces deux arts complémentaires et ici indissociables feront la richesse visuelle et auditive de l’instrument.

Sculpteur de buffets d’orgues.

L’orgue de Vertus n’est pas une première oeuvre pour Serge Bisson qui a déjà travaillé pour plusieurs facteurs d’orgues et collabore avec Bernard Aubertin depuis plus de dix ans. Il a sculpté une dizaine de grands buffets d’orgues dans toutes Ies régions de France (Vichy, Saint-Vincent à Lyon, Sarralbe, Saessolheim, etc...) ainsi qu’en Allemagne et au Japon. Il a travaillé aussi à de nombreux petits orgues et ne compte plus ceux qu’il a restaurés.

Chose rare pour un sculpteur, Serge Bisson travaille aussi la pierre, ce qui l’a amené à participer à plusieurs chantiers de restauration dans les cathédrales (Auxerre, Tours, Sens, Beauvais, Besançon...), et dans d’autres lieux. De nombreuses églises ou châteaux de France gardent la trace de ses travaux de restauration sur des meubles ou des statues.

« Restaurer est un travail très intéressant et formateur, cela nécessite recomposition, recherche documentaire dans les musées, création dans un style déterminé. Les monuments deviennent alors des professeurs rigoureux, sans discours, sans intermédiaire, n’admettant ni polémique ni interprétation. »

Un destin de sculpteur.

Serge Bisson a toujours été sculpteur : dès son plus jeune âge, il recherche les formes à travers les objets, les racines, les pierres qui, entre ses mains, deviennent animaux ou personnages. Après une formation d’ébénisterie, il s’oriente vers la sculpture, mais hésite longtemps entre ces deux activités. Devenu Compagnon du Devoir, le hasard des rencontres le ramène toujours à la sculpture : partout où il est engagé comme ébéniste, on a justement besoin d’un sculpteur !

Serge Bisson a travaillé plusieurs années à Bourg-en-Bresse où il a obtenu en 1994 le premier prix des Métiers d’Art de la Région Rhône-Alpes ; cette même année 1994, il vient s’installer à Charleville-Mézières à cause des impératifs professionnels de son épouse. Mais la région Champagne-Ardenne n’est pas une découverte : il avait déjà séjourné à Troyes, et il était venu restaurer la façade du musée Rimbaud à Charleville en 1986. Il collabore avec les « Bâtiments de France », pour des travaux de restauration en statuaire.Il a réalisé une étude complète de la tribune et du buffet d’orgue de Donchery en vue d’une restauration et a des projets pour le buffet d’orgue de Renwez.

Lorsqu’il sculpte des pièces de buffets d’orgue ou qu’il restaure des objets, Serge Bisson travaille seul dans son atelier : « Je n’ai pas l’impression de travailler, c’est une passion. Je peux sculpter pendant sept ou huit heures, j’arrête quand je veux, je suis libre ». Libre, oui et non, car pour vivre il faut concilier passion et rentabilité ; tout doit être compté : le bois, le temps au quart d’heure près avec le regret de devoir toujours remettre à plus tard la réalisation d’une oeuvre totalement libre et personnelle, la véritable « création ».