L’ORGUE CAVAILLÉ-COLL DE L’ÉGLISE

SAINT-PIERRE SAINT-PAUL D’ÉPERNAY

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Construit à l'extrême fin du 19e siècle, le grand orgue de l'église Saint-Pierre Saint-Paul représente l'aboutissement d'un projet conçu par trois personnalités qui marquèrent leur époque ; les aléas de la vie firent qu'il ne fut donné à aucun de ces hommes de suivre la réalisation de l'œuvre jusqu'à son terme :

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UN MÉCÈNE HORS DU COMMUN

Ami de Pasdeloup, de Litolff, de Wagner, qui vint se reposer chez lui à Epernay et y composa certaines de ses oeuvres, le comte Paul Chandon de Briailles, né en 1821, avait traité sa première affaire avec la maison Cavaillé-Coll en 1867 lors de l'achat de l'orgue de choeur de la paroisse Notre-Dame d'Épernay, dont il était membre du conseil de fabrique. L'année suivante, il passa commande, pour la même église, d'un grand orgue de 34 jeux, en prêtant la somme nécessaire à cette acquisition, qu'il finit par donner à la fabrique en 1880. Auparavant, il avait déjà financé, en 1847, la restauration de l'instrument d'Hautvillers, dont il était titulaire, et dont il payera à nouveau le relevage en 1892. Paul Chandon de Briailles attendit 1889 pour faire placer un orgue de Cavaillé-Coll, alimenté par une soufflerie électrique, dans son salon de musique d'Épernay ; avant cette date, il n'avait jamais voulu avoir d'orgue chez lui, ne pouvant souffrir l'idée du souffleur derrière son dos (SM 517). Puis il offrit encore deux orgues de Cavaillé-Coll, l'un en 1891 pour l'église du Sacré-Cœur de Montmartre, et l'autre en 1892 pour la chapelle du prieuré de Binson.

Un an plus tard, il faisait don d'un terrain et d'une somme de 50.000 francs destinés à l’édification de la nouvelle église Saint-Pierre -Saint-Paul ; puis au début de 1895, les premiers pourparlers pour la construction de l'orgue étaient engagés avec Cavaillé-Coll. Le comte Chandon de Briailles ne put avoir la joie d'entendre cet instrument, puisqu'il décéda le 9 juin 1895, à l’âge de 74 ans ; parmi ses dispositions testamentaires, on pouvait encore relever le legs d'une somme de 6.000 francs pour assurer l'entretien de l'orgue d'Hautvillers, et d'une autre de 12.000 francs à la fabrique de Notre-Dame d'Épernay, dont les intérêts étaient destinés à faire chanter une grande messe chaque année en enlevant les tentures de l'église afin d'en améliorer l'acoustique. le surplus devant être distribué ä titre de gratification aux musiciens (SM 562). Le 5 juillet 1897, lendemain de l’inauguration de léglise Saint-Pierre -Saint-Paul, Monseigneur Latty, évêque de Châlons, présida un office dédié à la mémoire de son généreux fondateur, au cours duquel on put entendre la maîtrise de Saint-Thomas dAquin.

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L'ARCHITECTE

Né à Haudilcourt (Ardennes) en 1833, Edouard Deperthes s'était rendu célèbre en dirigeant la reconstruction de l'hôtel de ville de Paris, réalisée en collaboration avec Théodore Ballu ; il est également l'auteur d’importants projets, tant en France qu'à l'étranger, notamment pour des constructions et des restaurations d'églises (église catholique de Berne, de Vannes, basilique de Sainte-Anne d'Auray, préfecture d'Oran...).

Le département de la Marne lui doit certains de ses édifices religieux, comme l'église Saint-André de Reims (1857-64, sous la direction de Narcisse Brunette, architecte de la ville), la reconstruction du prieuré de Binson et la restauration de sa chapelle (1880), le monument d'Urbain II à Châtillon-sur-Marne (1887), la chapelle de l'hôpital d'Épernay (1888-1889), et la maison Sainte Croix à Châlons (1897-1902, actuel hôtel de région).

S'il put mener à bien l'achèvement de l'église Saint-Pierre - Saint-Paul, inaugurée le 4 juillet 1897, Edouart Deperthes décéda un an plus tard, trois mois avant la réception de l'orgue dont il avait dessiné le buffet et la tribune.

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LE FACTEUR D'ORGUES ET SON ŒUVRE

L'orgue de Saint-Pierre -Saint-Paul illustre la dernière période d'Aristide Cavaillé-Coll ; il est possible que le compositeur et organiste Alexandre Guilmant (18371911), ami de Paul Chandon de Briailles, ait participé à l'élaboration de sa composition, comme il l'avait fait en 1889 pour l'orgue de salon du comte. Cependant, la Tierce du positif, au diapason identique à celui de la Doublette, semble plutôt conçue pour s'intégrer au tutti, à la manière d'un carillon (mixture généralement composée de 3 rangs : 4 +1 3/5 +1 ), que pour renouer avec la tradition du jeu de tierce de la musique du 18e siècle, que Guilmant remettra à l'honneur à partir de 1898 avec ses rééditions des Archives des maîtres de l'Orgue. De même, le grand plein-jeu de 7 rangs ne reprend pas tout à fait la composition prônée par Dom Bédos en 1766, la présence d'une reprise de la Fourniture sur le quatrième Fa venant l'assombrir avec une résultante de 32 pieds. Enfin, l'harmonisation de ce bel instrument, avec un emploi généralisé du pavillonnage et des dents, possède toutes les caractéristiques de l'esthétique symphonique, même si ces détails de composition semblent indiquer, sur le papier, la future évolution de l’instrument à tuyaux vers le courant néo-classique.

Aristide Cavaillé-Coll, à l'instar de son commanditaire et de son architecte, ne devait pas avoir la satisfaction d’achever lui-même cette réalisation : en butte à des difficultés financières croissantes, il céda, le 15 mars 1898, son entreprise à l'un de ses anciens collaborateurs, Charles Mutin ; il mourut l'année suivante, le 13 octobre 1899, à l’âge de 88 ans.

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VERS UNE RENAISSANCE

A part l'addition de l'accouplement récit/positif, probablement réalisée par Mutin peu de temps après l'inauguration, l’instrument n'a subi aucune modification depuis sa construction, malgré plusieurs devis de relevage et "d'améliorations" proposés en 1936 (Debierre-Gloton) et 1971 (Philippe, Beuchet-Debierre, Jouve). Comme celui de Notre-Dame, il fut certainement démonté en juillet 1918 en raison des menaces de bombardements. Entretenu régulièrement jusqu'en 1975, il commençait à donner des signes évidents de fatigue lorsque son classement intervint le 2 juillet 1979.

La restauration qui vient de s'achever a consisté simplement en un important relevage, avec l'ajout d'une Trompette de pédale dont la place avait été prévue en 1898. Elle a été confiée à la manufacture d'orgues Jean Renaud, de Nantes, très expérimentée dans la restauration des instruments de Cavaillé-Coll. Ainsi, l’œuvre résultant de la volonté et du talent de ces trois personnalités du siècle dernier peut-elle s'offrir à notre admiration dans l'éclat de sa nouvelle jeunesse.

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