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![]() Clavicorde J-A Haas (Licence photo GFDL) |
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Le clavicorde est
souvent présenté comme
l’ancêtre du piano. Mais cet instrument
à clavier et à cordes frappées qui
existe depuis le Moyen Âge apporte
d’emblée une solution
« naturelle » et parfaite en son
genre à toutes les difficultés que les pianoforte
de Cristofori, Silbermann ou Stein ont dû résoudre
plus tard à l’aide de mécaniques
complexes. Il ne suffit pas en effet de faire vibrer la corde : il faut que le son s’arrête lorsqu’on relâche la touche. Le clavicorde réussit cela de la façon la plus simple. Les cordes sont tendues parallèlement au clavier sur une caisse de résonance entre deux chevalets. Du côté d’un des chevalets un feutre serpente entre les cordes, qui ne peuvent donc pas vibrer sur toute leur longueur. Chaque touche est l’extrémité d’une baguette de bois. À l’autre extrémité est fixée une lamelle métallique, la tangente. Quand on presse la touche, la tige bascule et la tangente frappe une corde, qui se met à vibrer sur la longueur située entre la tangente et le chevalet sans feutre. Dès qu’on relâche la touche, la corde, assourdie à son extrémité par le feutre, cesse de vibrer. Pour obtenir les mêmes résultats, le piano a dû développer les mécanismes complexes de l’échappement et de l’étouffoir. |
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De plus, tant que la touche est enfoncée, l’instrumentiste peut imprimer un vibrato à la corde, effet impossible sur les autres instruments à clavier. Enfin, le son de la corde, frappée à son extrémité même, garde tous ses harmoniques et toute sa richesse. | |
Descendant du
monocorde sur lequel Pythagore étudiait les rapports entre
les sons et les nombres, le clavicorde garde la pure
simplicité de ses origines philosophiques. Le monocorde
devient au Moyen Âge le manicorde ou manicordion. Selon
l’endroit où la tangente la frappe, une
même corde peut en effet produire toutes les notes.
Un tel instrument reste monodique. Pour obtenir de la polyphonie, on a
ajouté de nouvelles cordes, produisant des clavicordes
« liés »,
où la même corde donnait encore plusieurs notes,
puis, au XVIIIème siècle,
« non liés », avec une
corde par note (une paire de cordes, pour pallier un peu le faible
volume du son). Les cordes aiguës sont en acier, les graves en
laiton. L’étendue le l’instrument a
été élargie
jusqu’à à cinq octaves, avec souvent
une octave grave « courte »,
condensée et non chromatique. Le clavicorde était
un instrument assez bon marché et facilement transportable,
et beaucoup des œuvres didactiques de
Jean-Sébastien Bach (Inventions, Suites
françaises, Clavier bien tempéré, et
même les sonates en trio qu’on joue à
l’orgue) sont écrites pour cet instrument.
L’esthétique du clavicorde correspond à un certain état de la technologie et de la société. Solution élégante et accomplie, il ne nécessitait aucun « progrès » qui aurait conduit à lui préférer le piano. Son faible volume sonore convient à l’exécution d’une musique aristocratique entre connaisseurs, tandis que le succès du piano répond aux goûts plus ostentatoires d’une bourgeoisie conquérante, qui veut des exécutions en concert. |
![]() Mécanique du clavicorde |
Dans la Petite Chronique
d'Anna-Magdalena Bach, ouvrage anonyme paru en Angleterre et en
Allemagne et attribué faussement à la deuxième femme de Bach, on lit :
De tous les instruments à touches, après l'orgue, c'était le clavicorde que Sébastien aimait le mieux. Il le préférait au clavecin, parce que, répondant à l'exécutant d'une façon beaucoup plus sensible, il exigeait un toucher plus délicat, chaque pression un peu trop forte durcissant le son. [...] Il prisait praticulièrement le Bebung; c'est-à-dire la faculté de soutenir la note en donnant une nouvelle pression sur la touche sans la frapper à nouveau. Les qualités sensibles du clavicorde charmaient sa subtile musicalité et il aimait rappeler la définition qu'un écrivain avait donnée de cet instrument : "la consolation de ceux qui souffrent et l'ami qui participe à la joie". Jusque dans notre chambre, il y avait un clavicorde. Il arrivait que Sébastien se levât au milieu de la nuit et, un vieux manteau jeté sur ses épaules, en jouât pendant une heure ou davantage. Il le faisait si doucement qu'il ne troublait jamais nos enfants endormis, mais rendait seulement leurs rêves plus beaux. (Petite Chronique d'Anna-Magdalena Bach, Buchet-Chastel 1957, traduction M. et E. Buchet. Réédité en 1994. Cet ouvrage apocryphe, hagiographique et teinté de sensiblerie romantique, est tout de même d'une lecture instructive et agréable, si on le considère comme un roman ; c'est la somme, rédigée au début du XXème siècle, de tout ce qui traîne un peu partout sur Bach. Une sorte d'évangile qui finit par faire douter que son Messie soit autre chose qu'une légende...) François
Collard.
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Écouter Prélude et chaconne (J.C.F. Fischer) joués au clavicorde par Joan Benson (sur Wikipédia) | |
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