L'ORGUE DE SAESSOLSHEIM

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L'aventure de la construction du nouvel orgue

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Voici le premier enregistrement réalisé sur le nouvel orgue de Saessolsheim. Pour l'association des amis de l'orgue, c'est bien plus qu'un simple disque. II fait partie de ces objets qui évoquent une histoire, qui ravivent des souvenirs. Même si cet orgue vient à peine d'être achevé, même si au moment de la réalisation de cet enregistrement, il n'est pas encore inauguré, on peut déjà parler de souvenirs. Bernard Aubertin, père de l’instrument, est également père de deux beaux enfants, Alexandre et Saskia. Alexandre avait trois mois lors de la première visite de l'église de Saessolsheim. II aura neuf ans au moment de l’inauguration.

Que s'est-il passé pendant ces neuf ans ? Pour y voir plus clair, il faut remonter à un passé un peu plus éloigné encore, afin d'imaginer dans quel contexte est né ce projet, dans quelles têtes a grandi ce rêve fou qui a basculé dans la réalité.

Saessolsheim est un village comme il y en a des dizaines en Alsace, et qui se caractérisent de la même façon : petite taille (450 habitants), habitat regroupé, activité rurale vivante, confession religieuse à peu près unique (catholique), forte activité associative (chorale paroissiale, corps de sapeurs-pompiers volontaires, club de football, donneurs de sang, arboriculture, animations pour les enfants, etc). En somme, un village à la fois calme et dynamique où il fait bon vivre.

Le projet du nouvel orgue est né, comme on peut le deviner, à l'église, et plus particulièrement au sein de son organe musical : la chorale paroissiale. Cette chorale qui a fêté son centenaire en 1998, est ressuscitée de ses cendres en 1974, sous l'impulsion de l’'Abbé Schmitt, curé du village voisin et musicien averti, qui a pris la charge de la paroisse à ce moment là. Jean-Baptiste Wamm, l'organiste-forgeron du village a été remplacé suite à des problèmes de santé en 1985 par Francis Jacob âgé alors de treize ans. Philippe Wolff, chef de chœur a pu faire du très bon travail avec ce groupe d'un esprit jeune, qui doit sa jeunesse à l'harmonie régnant entre les trois générations de choristes.

Et pourtant l'un des éléments de ce tableau, faisant partie il est vrai des plus âgés, commençait à donner des signes de fatigue. II s'agissait de l'ancien orgue. Quoique plus jeune que certains choristes (il avait été pneumatisé en 1926), il présentait petit à petit des insuffisances respiratoires (fuites), mais également des problèmes d'articulation (notes en retard).

Certains étés, il lui arrivait d'être frappé de crises foudroyantes qui le faisaient gémir soudain, et de manière ininterrompue, en pleine messe (cornements). C'était clair tôt ou tard, il faudrait lui faire subir une thérapie profonde (restauration).

Michel Dassmann, présidant de la chorale, prit dès lors les choses en mains. En 1988, il créa l'Association des Amis de l'orgue, dont il sera le président A ce stade du projet germa une idée, qui devait se confirmer avec bonheur par la suite. Plutôt que d'investir dans la réparation de l'ancien orgue, pourquoi ne pas en construire un nouveau ?

Et. ce fut le début de l'aventure. L’association définit le projet artistique. Après plusieurs voyages d`étude, elle choisit le facteur d'orgue, engagea les démarches administratives, et commença une inlassable récolte de fonds. Lentement mais sûrement les choses suivirent leur train et un beau jour. d'août 1992, la commande fut passée et arrosée`dignement au champagne le soir même.

Après ces neuf années d'activité soutenue, l'associatïon a rempli la première partie de sa mission : la construction du nouvel orgue. Pour réaliser cet authentique chef-d’œuvre, Bernard. Aubertin a mis en œuvre tout son talent et sa passion.

En ce mois d'octobre 1995, l'association entame ave ce disque la deuxième mission qu'elle s'était donnée faire vivre cet instrument.

A présent, Ies Amis de I'orgue sont heureux du dénouement de la première phase de leur activité. Leurs efforts sont ainsi pleinement récompensés. En guise de bilan, rappelons que cette oeuvre a pu aboutir grâce à une volonté et à des efforts collectifs Une telle entreprise est riche d’enseignements (Michel Dassmann connaît à présent par cœur les numéros de téléphone des différentes administrations concernées par le projet ; Francis Jacob, quant à lui,.. est devenu virtuose dans le domaine des correspondances SNCF entre Lyon, où il faisait ses études au moment de la construction de l'orgue, et Courtefontaine, où est installé Bernard. Aubertin … ). Notons également l'amincissement notoire des semelles des membres de l’association usées par le bitume gelé des communes avoisinantes où ils vendirent des calendriers pendant quatre hivers. Citons enfin les larmes d émotion versées le 12 juillet 1995 à 9h 35, au moment où le camion transportant l’ orgue atteignit l’ église, accueilli par la volée des cloches. Et longue vie à ce magnifique instrument !

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L'orgue de Saessolsheim par Bernard AUBERTIN

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Ce serait pure vanité que de vouloir décrire en quelques lignes un instrument de musique tel que le nouvel orgue de Saessolsheim. Imaginez la difficulté à décrire le goût d'un vin avec des mots ; seules les évocations de "charpenté, bouquet, nez" peuvent nous aider à cerner l'indescriptible. Une gorgée sera plus efficace que mille pages, surtout en Alsace...

En effet, comment traduire sur le papier, l'impression sonore que produit un orgue sur les auditeurs. La musique, si subjective, n'est-elle pas le prolongement immatériel de tous ces éléments de bois et de métal qui n'ont de raison d'être sans elle et qui, eux, peuvent être appréciés objectivement ?

Cet enregistrement doit être considéré comme une suite logique à la construction de l'orgue afin de permettre à celui-ci de s'envoler depuis la tribune, de franchir les frontières et de nous apporter le message des musiciens du passé et du présent.

La conception d'un orgue par un organier procède du mystérieux mécanisme de la création artistique : une idée peut jaillir à toute heure du jour et de la nuit et souvent la première impression est la bonne. En général, tout va très vite et quand rien ne vient, l'erreur se profile à l'horizon. Rien n'est pire que de traîner quand la liberté s'offre à vous avec si peu de contrainte. II est fréquent que la première idée soit griffonnée sur une enveloppe ou le coin d'un journal...

Cet orgue est le fruit d'une réalisation collective selon une idée personnelle : mes origines lorraines font de moi un "sang mêlé" de traditions française et germanique - les fluctuations de frontières ont bien souvent changé la nationalité de mes aïeux d'où une richesse de tradition très européenne.

La situation centrale d'une région lui fait subir une masse d'influence. Ainsi on retrouvera dans les façades de cet instrument les structures ancestrales de l'orgue : les basses au centre, médium aux extrémités et dessus doublés en miroir (reste de l'orgue gothique) entre. En bordure du vide, le positif est encadré de deux solides tours de pédale.

L'idée et la réalisation sonore se veulent être le reflet de I'aspect visuel : grand-orgue solide et fondamental, positif léger et brillant, pédale charpentée et grave.

Les buffets sont conçus selon une esthétique qui emploie un langage éprouvé depuis des siècles : grosses corniches, mouluration abondante et variée, sculptures à motifs végétaux, le tout proportionné à l'église. Personnellement, j'ai peine à accepter qu'au XXè siècle, avec nos machines performantes; nous produisions des buffets moins beaux que le revers d'un orgue ancien. Je me permettrai de citer ä ce sujet Pierre-Paul Lacas, philosophe qui écrivit à propos de ma démarche : « Bernard Aubertin crée à Ï'intérieur d'une tradition, non pas pour défendre une théorie traditionaliste "intégriste" qu'il estimerait indépassable (!), mais parce qu'il y puise des leçons universelles d'efficacité et de rationalité, donc de possible beauté. Rien donc ici de sclérosé ni d'insipide. Au contraire, une saveur originale qui s'enracine dans un terreau toujours fécond. » (texte écrit en Septembre 1992 à propos de l'orgue de Vichy dans l'Orgue Francophone).

La répartition équilibrée des registres offre une identité à chaque plan sonore qui se suffit à lui-même. Un accouplement du positif au grand-orgue permet d'obtenir une puissance certaine. Les jeux de pédale, situés bien en vue, sonnent directement dans la nef et ne nécessitent pas de tirasse. Un tremblant doux dans le vent apporte une note de tendresse. Cet orgue est capable de ronronner, et subitement de sortir ces griffes en crachant et soufflant, tous poils hérissés, comme le chat, mon animal favori.

Bien évidemment, à réalisation ambitieuse, matériaux de premier choix. Tout est en chêne massif; sauf les basses en bois des bourdons et les résonateurs des bombardes en épicéa et châtaigner. Toute la tuyauterie en métal est de construction artisanale et riche en plomb (sauf les façades). Les mouvements sont directs, suspendus pour le grand-orgue, foulants pour le positif et la pédale. Relativement légère et nerveuse, la transmission des claviers permet à l'organiste toutes les subtilités qu'il désire. Le tirage des registres est lui aussi mécanique et le plus simple possible.

Un vent assez régulier est fourni par deux soufflets cunéiformes installés sous le podium de la chorale proche de l'orgue. Les pressions élevées (95 mm aux manuels et 105 mm à la pédale) autorisent des soupapes assez étroites, des perces modestes sans risquer de manquer de vent, et sans alourdir inutilement la traction des notes.

Une harmonie vive, aux bruits de bouches réduits, colorée par un tempérament bien tempéré donne une âme et une personnalité à cet ensemble bois et métal.

Les jeux de fond (16', 8', 4'), calmes et amples, invitent les musiciens à interpréter des oeuvres des préromantiques, alors que les plein-jeux brillants basés sur un principal aux dessus doublés et soutenus par les anches de pédale, rappellent sans ambiguïté les origines classiques de l'instrument. Enfin, une flûte traversière "à l'imitation", mystérieuse, et une voix humaine "vivante" remémoreront à l'auditeur et aux lecteurs de ces lignes que les facteurs poursuivent toujours, à travers les siècles, le rêve fou et baroque de donner l'illusion de la vie à une machine.

Bernard Aubertin, Organier

Francis Jacob

Francis JACOB

Né en 1972, Francis Jacob a débuté la musique à l'âge de 5ans avec René Lorentz. Il a étudié l'orgue successivement avec Sylvain Ciaravolo, André Stricker (Strasbourg), Jean Boyer (Lyon), le clavecin avec Aline Zylberajch (Strasbourg) et jean Willem Jansen (Toulouse), la basse continue avec Martin Gester (Strasbourg).

En 1987, il a obtenu le premier prix du concours Alexandre Guilmant de Boulogne-sur-Mer, puis le certificat d'Aptitude aux fonctions de professeur d'orgue en 1994. Il bénéficie en 1995 de l'aide aux jeunes talents du Mécénat Musical Société générale.

Passionné par le répertoire extrêmement riche de ces deux instruments cousins d'un temps, l'orgue et le clavecin, Francis Jacob pratique également la musique d'ensemble, au sein de diverses formations. Il s'intéresse de près à la facture instrumentale.

Francis Jacob est organiste à Saessolheim depuis 1985.