L'orgue de Vraux
Par Eric Brottier, maître d'oeuvre du projet de restauration
L'orgue de Vraux

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Louis Couperin : Fugue, par Éric Brottier Peter Philips :  Gagliarda , par B-J Steens
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L-N Clérambault : basse de cromorne, par Pierre Méa G-F Händel, duo (Water Music, tr. Geminiani), par J-C Leclère

C'est à la fin de l'année 1791 que le facteur d'orgues châlonnais René Cochu posait l'ancien orgue de l'abbaye de Toussaint de Châlons, dans l'église paroissiale de Vertus ; à cette occasion, il reprenait, en plus des 1200 livres qu'il demandait, le petit orgue provenant de l'abbaye St-Sauveur de Vertus, acquis par la commune quelques mois auparavant.

C'est ce second instrument qui se trouve maintenant dans l'église de Vraux, suite à la décision du Conseil Municipal, le 30 janvier 1792, « (...) d'acheter un jeu d'orgues pour être mis à l'église paroissiale dudit lieu, pour jouer les jours de grandes fêtes annuelles et solennelles et autres jours si on le juge à propos (...) », suivant ainsi l'exemple du village voisin de Juvigny, où le même organier venait d'installer l'ancien orgue des Cordeliers de Châlons. René Cochu connaissait bien ce qu'il vendait aux habitants de Vraux, puisqu'il avait restauré en 1784 cet instrument construit en 1709 pour St-Sauveur de Vertus. Le montage fut effectué dans le courant de l'année 1792, et le 8 décembre, le premier organiste de Vraux, Louis-Joseph Mailly, pouvait entrer en fonction moyennant la somme annuelle de 90 livres.

Après ces tribulations dues aux circonstances de la période révolutionnaire, l'instrument connut une période de stabilité, avant d'être reconstruit au cours d'une période qui se situe vraisemblablement entre 1853 et 1870. On supprime alors le soubassement du meuble et on suspend la partie haute du buffet au plafond de la nef afin de placer une console tournée vers la nef, placée sous l'étage de la Montre, en remplacement de l'ancienne qui se situait probablement à l'arrière du buffet; cette opération entraîna la reconstruction du mécanisme, du sommier et de la soufflerie et le renouvellement de la moitié des jeux de l'instrument. En fait, la date des travaux de restauration qui furent effectués est sujette à caution. Aucune pièce justificative ne vient décrire la nature et identifier l'auteur ces transformations; mais leurs caractéristiques permettent d'en attribuer sans aucun doute la paternité aux Frères Claude, facteurs d'orgues à Mirecourt, notamment en raison de la nature du sommier dit « à pistons simplifiés » en tout point conforme à celui que les Frères Claude décrivent dans le brevet de décembre 1853 qui caractérise leur invention. On sait par ailleurs que ces facteurs travaillent à Châlons à Notre-Dame-En-Vaux entre 1856 et 1859. Enfin, la soufflerie à plis parallèles qu'ils installent à la même occasion présente aussi toutes les caractéristiques de facture que l'on peut identifier dans d'autres instruments où ils ont travaillé.

Seule une allusion du curé de Vraux rapportée en 1869 peut permettre éventuellement de supposer une reconstruction en 1867, alors que s'est posé le problème de l'avancement de l'orgue sur la tribune, ce qui fut effectivement réalisé en 1877. Hormis le remplacement du sommier, l'intervention des Frères Claude portait sur les points suivants :

- Décalage de la Montre 4 en Montre 8 avec ajout des basses bouchées ;

- Etendue de la tessiture de 48 à 54 notes avec ajout du Do#l ;

- Remplacement de la soufflerie par une soufflerie à plis parallèles, à lanterne probablement ;

- Modification du ton;

- Modification substantielle de la composition avec remplacement des jeux à 50%.

Le nancéien Jean Blési intervient à son tour en 1891 et pose un Bourdon 16 qu'il poste derrière l'orgue. Un relevage est effectué en 1961 par la Maison Jacquot-Lavergne qui dote l'instrument d'un ventilateur électrique. Au cours de l'été 1971, sous l'impulsion du curé de l'époque, l'abbé Picard, des travaux sont entrepris par les facteurs Hartmann et Deloye, établis à Rainans et Audelange (Jura).

Philippe Hartmann recompose le Plein-Jeu III (dont le plan défini par les frères Claude possédait dans les dessus un rang de 10'2/3 ...), réharmonise les principaux et la Trompette et règle la mécanique, donnant à l'orgue une qualité sonore qu'il avait depuis longtemps perdue.

La composition en était alors la suivante :

Montre 8, Cornet V (C3-F5), Bourdon 8, Prestant 4, Doublette 2, Plein-jeu III, Trompette 8, chape vide. Sur sommier auxilliaire: Bourdon 16. Clavier de 54 notes et pédalier de 18 notes en tirasse. Suite à une sensibilisation menée autour de cet instrument, sans négliger également l'émulation induite par la restauration de l'orgue voisin de l'église de Juvigny, la restauration de l'instrument fut alors décidée par la commune de Vraux en liaison avec les services de la Conservation Régionale des Monuments Historiques. Une étude préalable à la restauration de l'instrument fut effectuée en 1996 par Eric Brottier. Il fut proposé de reconstruire un instrument dont la partie instrumentale serait refaite à neuf pour les parties mécaniques en restaurant la tuyauterie ancienne. Pour le buffet très mutilé, il convenait de rétablir un soubassement en restituant une console en fenêtre à l'arrière, d'après l'analyse des traces qui ont pu être détectées dans les éléments de la charpente arrière. De ce fait le buffet serait replacé à l'avant de la tribune en encorbellement. Les offres remises le 15 juin 2000 étaient analysées et le chantier de restauration a été confié au facteur Denis Londe, établi à Frasne dans le Jura.

Lors du démontage de l'instrument, des éléments de registres ont été retrouvés, servant de cales au poteaux du buffet. L'étude de la division de ces différents vestiges a permis de préciser la tessiture exacte du clavier manuel et sa division. Ces éléments ont servi de base à la reconstitution du tracé du sommier, déterminant l'implantation générale de la tuyauterie dans l'orgue. Il fallait alors faire le constat que l'orgue ne pouvait plus contenir de jeu de Trompette en raison de la hauteur nécessaire, le sommier ne débordant pas dans les tourelles latérales. En revanche la hauteur disponible correspond juste à celle de la longueur d'un cromorne au ton ancien à 392. C'est donc un tel jeu qui a été rétabli.

Compte tenu de la place disponible dans le soubassement et dans la mesure où la reconstruction de l'instrument permettait diverses libertés, faute d'une documentation précise de l'orgue tel qu'il était au 18e siècle, il fut décidé de placer dans le soubassement de l'orgue un plan d'écho. Cet écho peut être utilisé en récit en ouvrant un panneau mobile du soubassement.

Parallèlement aux travaux sur l'orgue, force a été de constater que la nef de l'église était en mauvais état sanitaire, tandis que la tribune manquait de résistance et que ses poutres étaient insuffisamment encastrées dans les maçonneries. Un programme complémentaire de restauration sur l'église et la tribune de l'orgue s'est avéré indispensable, ce qui a obligé à différer le remontage de l'instrument jusqu'au printemps 2004.

Le plateau de tribune a été remanié, le plan avant du garde corps a été avancé et la tribune a été consolidée. Les fissures sur le mur occidental ont été refermées et le plafond en plâtre et staff de la nef a été restauré. Les murs de la nef ont été nettoyés et reçu un badigeon à la chaux ocré, permettant de placer l'orgue dans un contexte propre et assaini, contribuant à l'esthétique visuelle générale de l'ensemble.

Le buffet comportait sur ses parties anciennes des traces d'un badigeon à l'huile chargé de terres colorées dans un ton rouge sombre. La teinte actuelle a été restituée après divers essais. Il fut ensuite décidé de dorer quelques éléments sculptés pour animer la façade assez peu éclairée en raison du contre-jour résultant de l'entrée de la lumière principalement par la baie placée derrière l'orgue. Coût des travaux: 143 751 euros TTC valeur avril 1999.

Buffet