L’orgue de Vertus

Par

Bernard Aubertin

Organier-Maître d’Art

Bernard Aubertin

En 1987, les circonstances firent qu’Éric Brottier eut vent de la volonté d’achat d’un orgue électronique. Il  réussit à orienter le choix vers un orgue positif à tuyaux, ce qui servit d’amorce à la construction de l’actuel orgue. L’action conjointe de la Commune avec M. le Maire Paul Charpentier et son Conseil qui choisit Éric Brottier comme technicien-conseil et de l’Association des Amis de l’Orgue permit de faire avancer rapidement le dossier (Département - Ministère de la Culture - mécénat - donateurs...). Suite à un concours, le marché me fut attribué en décembre 1992. Quelques mois plus tard, les travaux débutèrent.

En juin 1996 commença la construction de la nouvelle tribune confiée aux Éts Profilam de Villers aux Bois pour la partie métallique, aux éts Noël de Reims pour la maçonnerie et aux éts Mattlin de Vertus pour l’escalier; la sous-face et le plancher de la tribune. Le 17 juillet, l’orgue arrivait dans deux camions : le 27 juillet, le montage était terminé, il restait à laisser une période de « dégorgement » à l’ensemble orgue-tribune. Les chaleurs du mois d’août sont propices à l’éclosion des maladies infantiles du nouvel instrument. La première semaine de septembre avant les vendanges, fut mise à profit pour les derniers réglages et l’accord général.

De la construction simple de l’église de Vertus, nef et bas-côtés plafonnés de chêne, chœur et transept voûtés en pierre résulte une bonne acoustique d’environ 3 secondes sans mauvaises surprises rendant l’audition de l’orgue très lisible et sans agressivité.

Les conditions étaient réunies pour faire du bon travail : bon édifice loin des axes de circulation et volonté locale (la restitution patrimoniale).

Buffets

Les buffets qui ornent aujourd’hui le fond de l’église se divisent en 4 parties


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Autre chose en OGG

Le grand corps placé au milieu de la tribune est composé d’un soubassement étroit où se trouvent la console et le futur 3e clavier. Ce soubassement s’épanouit au niveau des pieds de la Montre 8 du GO. Celle-ci, entièrement en façade, se répartit dans les différents compartiments et tourelles polygonales et pointues à 60°.

Le positif en encorbellement est orné de tuyaux sur 3 faces. La Montre 16  commence au premier Mi dont le volume équivaut à 184 bouteilles de Champagne!.

Le décor des buffets est composé de moulures, de rinceaux sculptés qui cachent les extrémités supérieures des tuyaux de façade ; les tourelles sont ornées de couronnes avec des boules, des étoiles dorées, des frontons de feuilles de vignes. Les culots des tourelles ont reçu des pendentifs en forme de grappes de vignes (pouvait-on faire autrement en pays champenois ?). L’ensemble est en chêne massif raboté à la main, assemblé à tenons-mortaises et chevillé à tire.

Sommiers

L’établissement des tuyaux sur les sommiers suit en gros le plan des façades, les basses au centre en A et la suite diatonique en V pour GO et Positif et en tierces majeures avec basses au centre pour la Pédale.

Les sommiers sont d’assez petite dimension mais toute la tuyauterie reste accessible grâce aux basses postées et aux allées d’accord. La Dulciane 32 est placée sur son sommier particulier derrière la passerelle du GO.

Tous les sommiers sont en chêne à table flipotée. Les registres sont doublés de peau, rondelles de feutre à la pédale à cause de l’éloignement des sommiers et des frottements dus à la mécanique longue et lourde et au poids des gros tuyaux. Les soupapes en chêne sont collées en queue sauf à la pédale où elles sont à pointes arrières. Les boursettes sont en peau. Des osiers étanchéifient la tige en laiton traversant les boursettes. Les tampons sont encastrés. Les ressorts sont en laiton sans boucle.

Mécanique des notes

La transmission est aussi simple que possible. Celle du Grand-Orgue est directe du clavier au sommier via un abrégé en fer forgé. La laye s’ouvre à l’intérieur du soubassement. Les touches du Positif foulent une série de pilotes qui agissent sur des équerres par l’intermédiaire d’un abrégé vertical ensuite, des vergettes horizontales vont jusqu’à un autre train d’équerres fixées à l’aplomb des soupapes. Le toucher du GO est plus lourd que celui du Positif à cause des grandes soupapes.

La transmission de la pédale est uniquement composée de relais verticaux et de vergettes en bois ou fils de laiton. Seul le 32 pieds possède un abrégé en bois. La mécanique passe sous les marche-pieds qui relient les différents buffets entre eux.

Mécanique des registres

Même principe que pour tout l’orgue : simplicité et efficacité. Ces transmissions sont réalisées en fer carré pour les rouleaux avec des bras soudés. Les sabres des sommiers de pédale sont reliés entre eux par des grands liens traînant en chêne placés à 5 mm au-dessus du niveau des semelles de l’orgue et passant sous le grand-corps. Les tirants à la console sont carrés et finissent par des pommeaux tournés. Les étiquettes sont en parchemin.

Vent

GO et Positif sont alimentés par deux soufflets cunéiformes placés sous la passerelle d’accord et dans le soubassement. Des porte-vent en chêne et châtaignier distribuent le vent aux sommiers. Sous chaque sommier de Pédale est placé un petit soufflet avec sa boîte à rideau individuelle. Le 3 pieds possède également son régulateur et son mini-soufflet. Le vent obtenu par cette division « du travail » est vif et sans altération notable.

Le Tremblant à vent perdu construit selon un plan de Jürgen Ahrend a deux positions : la vitesse lente est obtenue par la mise en route du Tremblant dont le mouvement est tempéré par un petit soufflet anti-secousses, le second cran du tirant du Tremblant provoque l’écrasement du petit soufflet et double la vitesse du battement.

Les postages sont en plomb.

Tuyauterie - Harmonie

L’ensemble des tuyaux est confectionné selon des procédés artisanaux. Les façades en étain à 75% sont raclées et brunies à la main et vernies.

Sont en étain fin 75 % et 96 %

• la Gambe GO,

• la Trompette GO.

• la Voix humaine du Positif,

• et le Cornet 4 de la Pédale.

Tout le reste est en étoffe ou en plomb, les biseaux en plomb à 3%. Toutes les calottes sont soudées, sauf celles des Quintatons 16 et 8 qui sont mobiles.

Les tuyaux en bois sont en chêne ou châtaignier. Seuls les pavillons de la Buzène 16 sont en épicéa des Vosges.

Les tuyaux à bouche en bois ont été l’objet d’un traitement particulier. À l’exception des trois octaves supérieures du Bourdon 8 du Positif, toutes les « lèvres ont été métallisées », c’est-à-dire que l’arrête intérieure de la lèvre inférieure est feuillurée, et cette feuillure a été refermée par une barre en métal. L’effet de cette opération est multiple

• attaque immédiate, développement élevé d’harmoniques notamment dans les tuyaux graves, la où l’oreille humaine a du mal à distinguer les sons, enfin, économie substantielle de vent, ce qui est très important dans les basses des claviers manuels.

L’auditeur peut se faire de lui-même une idée, en écoutant simplement les octaves graves, seules, ou combinées des Quintaton 16 et Flûte 8 de l’orgue.

Cette idée m’est venue, suite à l’observation, souvent résignée, de la lenteur d’attaque et de l’indéfinition des sons émis par la majeure partie des Bourdon 16 manuels et de Pédale. Or, Marin Mersenne donne une registration où la main gauche joue Bourdon 16 et Clairon 4.

En 1993, j’ai construit un grand instrument pour une ville japonaise - Shirane-Cho.

Au GO, j’avais Bourdon 16 et Clairon, il fallait que cela marche très bien de préférence. Trost, facteur saxon, contemporain de J.S. Bach, avait doublé la face supérieure des lèvres de ses tuyaux en bois avec une plaque de plomb mais personne n’a pu me dire l’effet exact de ce détail de construction. L’idée était en l’air, de plus dans le même orgue pour le Japon, la Montre 8 du Positif ne commençait en façade qu’au 1er sol # et je ne voulais pas que le timbre changeât brutalement à cause des tuyaux en bois, partout où cela me semble nécessaire.

La tuyauterie en métal est harmonisée le plus naturellement possible avec un minimum de dents sur les biseaux. Les pieds sont un peu fermés dans les basses, l’intervention se faisant principalement par le positionnement des éléments constituant la bouche du tuyau. Les mêmes tailles se retrouvent dans plusieurs jeux mais le son est différent, bien qu’on ne trouverait aucune modification avec un pied à coulisse.

Grosso modo, les lignes directrices ont consisté à construire un plenum double : celui de GO ample, clair et efficace, celui-ci pouvant être corsé avec la Trompette de 8 et/ou la future anche de 16’ et celui du Positif, plus menu et clair mais toujours vigoureux.

Chacun de ces plenum se suffit à lui-même. Celui du GO est soutenu par les anches 16’ et 8’ de Pédale, celui du Positif par le Principal 16 et la Trompette 8 de Pédale par exemple.

Les fonds ont leur vie propre. La Montre GO est doublée dans ses dessus qui sonnent ainsi d’une manière intense comme plusieurs violons à l’unisson. Vient ensuite la Montre 4 du Positif, très ample dans sa basse et son médium, très timbrée et fine dans les aigus également doublés. Jouée avec le Bourdon 8 et même sans, le son est plein, riche et donne à l’organiste un sentiment de « confort » qu’il ne trouve pas dans les 4 pieds quand ceux-ci sonnent comme des jouets énervants.

La Gambe du GO en étain est pointue dans la basse, cylindrique au milieu et enfin évasée. Cette forme évolutive (allant du rapport 1 sur 2 au rapport 2 sur 1) modifie le timbre : grondant - clair - fin mais avec une certaine portée. Ce jeu fait tout naturellement la paire avec la Flûte traversière du Positif.

Ainsi, le reste, Flûtes 4 et 2 sont conçues pour être jouées seules ou dans divers mélanges.

Les fonds de Pédale sont traités en rondeur et ampleur, les tailles larges leur assurent une lisibilité et indépendance dans la polyphonie en prévision de la pose d’un Bourdon 8. L’octave 8 est mordante dans sa basse.

Le Principal, unique 16 pieds de fond de la Pédale, a été traité de sorte que son attaque soit très prompte. Il commence au Mi en façade, les 4 premières notes sont constituées d’un Bourdon 16, d’un Violon 8 en chêne et d’une Quinte S 1/3 en chêne afin de ne pas laisser percevoir un « trou » au-dessous du Mi.

Les anches

GO : une Trompette vive et ronde, qui se mélange au plein-jeu; la taille m’a été aimablement communiquée par J. Ahrend qui l’a réalisée notamment à Marienhafe (Allemagne du Nord) orgue Von Holy. (début XVIIIIe siècle).

Elle sera accompagnée plus tard d’un Basson 16 aux rôles multiples : dans le plenum pour la gravité, avec la Trompette et quelques jeux aigus pour les effets d’enfer (Duetto en mimineur BWV 802), à l’octave pour le cantus firmus, avec la Voix humaine pour les couleurs évoquant les vieux instruments de la Renaissance, cervelas, tartele et autres ranquettes aux sonorités râpeuses.

Positif : Une Dulciane 8 aux sonorités douces et rondes offre toutes les possibilités de solo, de polyphonie. Elle développe un son fondamental qui permet de l’utiliser comme basse de 8’ dans le plein-jeu la Voix humaine 8 est enfermée dans une petite boîte dont le couvercle est mobile. Sa couleur change selon l’ouverture du couvercle et l’assaisonnement. Si on ajoute à la Voix humaine, Flûte 4 et Nazard, le mélange obtenu sera complètement différent selon l’ouverture de la boîte. Cette même Voix humaine en boîte, mêlée à tous les 8’ de fond de l’orgue, donne l’impression que tout l’orgue gonfle quand on ouvre le couvercle.

Pédale

Le jeu fondamental, la Buzène 16 (néologisme du latin bucinum, trompette) sert de base à tout l’édifice. S’il ne fallait poser qu’un seul jeu d’anche dans tout l’orgue ce serait celui-là. Les anches coniques sont en étain coulé. Elles sont peaussées et de forte section. Les pieds et noyaux sont en chêne, les pavillons en épicéa. Tous ces éléments concourent à produire un son rond et ample où la fondamentale ressort nettement sur les harmoniques (contrairement à une bombarde française). Ces harmoniques volontairement « écrémés » sont fournis par la Trompette 8. Celle-ci reçoit le renfort du Cornet 4 en étain qui est un Clairon très étroit dans la basse et large dans l’aigu (en fait la taille ne varie presque pas sur ces 30 notes). Chaque jeu joué seul sonne « gentil et calme » mais le mélange 16’-8’-4’ est présent. Si, à cet ensemble 16’- 8’- 4’, on ajoute le 32’ on obtient une sonorité imposante qui supporte le grand plenum sans l’écraser. Ce 32’ placé hors buffet derrière le GO est en fait un grand Cromorne 32. Les 10 premiers corps sont en chêne (les plus grands recourbés sur eux-mêmes) et la suite en étain. Les pieds sont en chêne et les anches coniques sont en étain recouvertes de peau et de taille moyenne.

En conclusion, je remercie tous ceux qui, de près ou de loin, m’ont accordé leur confiance et m’ont permis ainsi qu’à mon équipe de réaliser cet instrument. Je remercie tout particulièrement M. Perrot, Maire et Conseiller Général et son Conseil Municipal qui, suite à l’enthousiasme généré par la visite de leur orgue dans mes ateliers et du montage à Vertus, m’ont commandé plusieurs jeux supplémentaires et des décors qui parfont l’orgue.

Enfin, je forme le vœu que cet orgue ait répondu à l’attente de restitution du patrimoine de la ville de Vertus et qu’il contribue à un réel enrichissement culturel champenois. En ces temps très difficiles pour la facture d’orgues, j’ose espérer qu’une telle réalisation ne laissera pas indifférents ceux qui envisageraient de faire construire un instrument et les incitera à faire le bon choix.


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Personnel (actuellement présent) de la Manufacture d’orgues Aubertin et travaux réalisés

Bernard AUBERTIN conception, plans, direction des travaux, harmonie.

Michel GAILLARD, facteur d’orgues : Coupe au ton, accord.

Loïc GAUDEFROY, ébéniste : buffets, balustrades éléments décoratifs, sculptures, divers.

Jérôme HOULON, facteur d’orgues : sommiers, mécaniques, postages, tuyaux buis, divers.

Daniel REY, facteur d’orgues : sommiers, soufflets, tuyaux bois, mécanique, divers.

Thierry RICHARD, ébéniste : claviers, charpentes, soufflerie porte-vent, divers.

Nicolas SECHEPINE, tuyautier façades et tuyaux en métal.

Jérôme STALTER, apprenti tuyautier tuyaux en métal.

Norbert VAN ELST, facteur d’orgues : sommiers, postages, tuyaux bois, divers.

Sonja AUBERTIN administration.

Ont également travaillé dans l’orgue

Benjamin FAREY, facteur d’orgues tirage de jeux, sommiers( plans), postages, divers.

Patrick MERCIER, ébéniste buffets, charpentes, divers.

Anke SAEGER-BLAISON, factrice d’orgues tuyaux bois, mécanique, postages, divers.

Artisans :

Serge BISSON : sculptures.

Marie-Odile VALOT-DEGUEURGE : dorures.

Pour la tribune :

· Éts Mattlin : menuiserie.

· Éts Noël : maçonnerie.

· Éts Profilam : tribune en métal.

Composition

POS. (I) 53 n. CD1-F5

G.O. (II) 53 n. CD1-F5

PED. 30 n. CA0 D1-F3

Bourdon 8

Quintaton 8

Flûte traversière 8

Montre (I/II) 4

Flûte à cheminée 4

Nazard 3

Doublette 2

Flûte 2

Sesquialtera II

Plein jeu IV

Dulciane 8

Voix humaine (B&D) 8

Quintaton 16

Montre I/II 8

Gambe 8

Flûte à cheminée 8

Prestant 4

Flûte conique 4

Quinte 3

Octave 2

Mixture VI

Sifflet 1

Trompette 8

Dulciane 16*

Tremblant

Principal 16

Octave 8

Prestant 4

Flûte 2

Mixture V

Dulciane 32

Buzène 16

Trompette 8

Cornet 4

Bourdon 8*

Pectoral (3e clavier)*

Tremblant. Acc. À tiroir

Tirasse II/P. Boîte expressive pour voix humaine

* jeux en attente


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